Peintre

Amrita Depraz

Peintre

Paris / Bruxelles

Amrita Depraz - Les Autodidactes

Peintre autodidacte, Amrita a décidé par elle-même de sortir des écoles institutionnelles artistiques. Evidemment, il nous parait logique que l'Art ne s'apprend pas en école, au premier abord. Pourtant, en France, il y a bel et bien des parcours "classiques" avec des élèves qui passent par des écoles d'art reconnues. Amrita, elle, veut être libre, ne pas être formatée dans sa création. Elle a un monde à elle, son point de vue à elle.
Elle nous raconte.

Hello Amrita. Tu es peintre autodidacte, tu n’es pas passée par le parcours classique des écoles d’art. On te laisse te présenter ? Quel est ton parcours ?

Je crois que depuis toute petite, je cherche le besoin de m'exprimer, le besoin de me connecter aux gens, au monde, de me connecter à mon être. J'ai besoin de sentir et de ressentir avec tous mes sens. J'ai fait beaucoup de théâtre, de danse. J'ai commencé à l'âge de cinq ans à jouer de la guitare et ça reste aujourd'hui quelque chose de très important pour moi. J'ai fait beaucoup de sports aussi (karaté, athlétisme, ski, équitation,...). J'adore ressentir de nouvelles sensations. En ce moment je vis à Bruxelles, en Belgique. Je débute une école de cinéma. Je suis fascinée par ce milieu depuis toujours et je veux me servir de cet apprentissage, par la suite pour développer davantage mon art, ma peinture. C'est aussi une manière pour moi d'assurer mes arrières. C'est peut être aussi lié à une pression sociétale... En tout cas, ce que je sais, c'est que la peinture restera un domaine dans lequel je veux m'accomplir seule. C'est mon univers et je veux le façonner à ma manière. Pour cela il faut remonter quelques années plus tôt... Après un baccalauréat littéraire, malgré le désir de tout plaquer et de me recentrer sur moi, sur mes envies et mes besoins, j'ai quand même commencé l'année à Descartes, en faculté de psychologie où j'avais été prise. Je voulais faire honneur à cette adhésion dans la fac et la matière m'intéressait. J'aurais dû d’emblée écouter mon corps et mon esprit car ils m'ont vite fait comprendre que je n'avais rien à faire ici et que je n'étais pas du tout épanouie : j'y suis restée une semaine. C'est à ce moment là que j'ai décidé d'écouter mon intuition. J'avais besoin de me remplir de savoir, le besoin d'assouvir une curiosité sans limites. J'ai beaucoup lu : des romans, de la poésie, des essais sur la méditation. J'ai fait la tournée de tous les musées, de toutes les expositions à Paris. J'allais au cinéma, 3 à 6 fois par semaine et je regardais aussi beaucoup de films chez moi. J'ai pris le temps de respirer. J'ai eu envie de m'essayer à de nouvelles choses, alors je me suis mise à dessiner. Je ne m'étais jamais sentie légitime à le faire. J'avais déclaré d'avance que ce n'était pas « pour moi », que je ne savais pas dessiner, avant même d'avoir essayé. Ça a donc commencé un jour, dans ma chambre, sur un coup de tête à me dire, et pourquoi pas moi ? Pourquoi je ne pourrais pas dessiner, pourquoi je ne pourrais pas être libre de faire absolument tout ce que je veux, sans ces jugements, ces idées pré-conçues... J'ai voulu vaincre pour toujours ce syndrome de l'imposteur qui nous empêche d'avancer et de nous connecter à nos goûts, à nos envies, à notre être. Et cela ne m'a plus quitté. Du jour au lendemain, j'ai commencé à peindre, à dessiner sans relâche. Les couleurs devenant mon oxygène, se plaçant comme un besoin vital au centre de ma vie.

À quel niveau d’études t’es tu arrêtée ? Qu’est ce qui t’a poussée à être autodidacte dans le milieu de la peinture ? Tu voulais sortir des institutions, c’est un vrai choix de ta part ?

Je me suis arrêtée au baccalauréat. Pendant ces deux années sabbatiques, je ne me suis jamais sentie aussi bien, libre et épanouie personnellement. Elles m'ont permise de me découvrir davantage et de comprendre ce que je voulais réellement dans ma vie : être libre et apprendre encore et toujours. Ce qui m'a poussé à être autodidacte dans le milieu de la peinture, c'est avant tout ce besoin de liberté. Il est essentiel pour moi et je me suis toujours sentie oppressée à l'école, dérangée par le cadre, les obligations, le « bourrage de crâne » parfois. Je me suis toujours sentie en marge de tout ça. J'ai beaucoup de mal avec les contraintes que je reçois de l'extérieur. Mes débuts en faculté d'arts-plastiques ont été compliqués, malgré ma passion : je me faisais violence pour y aller, tous les jours. J’ai vraiment du mal avec la routine et la pression sociale.  Je suis en opposition avec notre système d'aujourd'hui, avec les valeurs véhiculées : accumuler, consommer, détruire, gagner en écrasant. La peinture, c'est devenu mon univers et il est aux antipodes de tout cela. Je veux préserver mon art et ma personne de ce monde calculateur et décentré sur les valeurs humaines. Je veux, par mon art, créer des ponts mobiles entre les humains et replacer les valeurs humaines au centre de nos vies.

Quels sont les aspects positifs et négatifs que tu rencontres dans ton parcours, en tant qu’autodidacte ?

Il n'y a que des aspects positifs. Cela fait un bien fou de se sentir à ce point autonome, libre et cela renforce ma créativité et mon envie d'aller toujours plus loin. Depuis que je suis autodidacte, mon ambition a décollé, avec ce besoin, je pense, de prouver qu'on n’est esclave d'aucune institution et qu'avec de la volonté et de la passion on peut tout faire. J'ai la chance aussi d'être aidée par ma maman sur le plan financier pour l'instant ce qui me permet de ne pas être confrontée trop brutalement à la réalité et d'avancer à mon rythme. En effet j'ai déjà vendu quelques toiles et je travaille en parallèle dans un théâtre en temps qu'ouvreuse.

Quels sont, selon toi, les aspects positifs et négatifs à ne pas faire d’école d’art « reconnue »?

Les aspects positifs à ne pas faire d'école d'art « reconnue » selon moi c'est l'absence de contraintes. Cela me permet de peindre pour moi, pour les autres, avec mon cœur et mes émotions sans me soucier de ce qu'il « faut faire » ou « ne pas faire ». Beaucoup de gens autour de moi me disent qu'en école d'art ce qui est bien c'est qu'on apprend la technique. Mais la technique en tant que telle n'est pas une priorité pour moi. Je veux que ce soit des émotions, des idées, des pensées qui se dégagent de mes créations. Je ne peux séparer la technique de l'artistique ou de la créativité. C'est un tout et si j'ai un besoin de transmettre quelque chose et que cela passe par quelque chose de plus élaboré je l'apprendrai. Ne pas faire d'école d'art c'est sortir des « tendances » et créer avec son âme en sortant totalement des conventions. Concernant des détails plus pratiques à propos de la conception d'un book d'artiste par exemple ou des éléments dans ce genre je m'informe sur internet. Je me documente énormément sur divers sujets, je suis dans une quête de savoir permanente donc finalement je n'ai pas besoin de ce cadre. J'ai également une amie en faculté d'arts plastiques qui me donne parfois deux/trois tuyaux. Concernant les aspects négatifs, certaines personnes auraient peut être tendance à dire que le fait d'être écartée des institutions ferme des portes, rend le travail moins glorieux et reconnu. Mais je ne suis pas du tout de cet avis. Tout cela n'est pour moi que superficialité. A ce niveau là, les écoles d'art ont tout faux de mon point de vue. Il n'y a pas de bon ou de mauvais art. Une création, par exemple, est glorieuse à partir du moment où elle touche, où elle crée quelque chose chez la personne qui la regarde. On peut transmettre des idées, des envies sans avoir de diplômes. Et si une création n'obtient de la valeur que par l’obtention d'un diplôme, alors que je suis encore plus convaincue d'être au bon endroit aujourd'hui.

En tant qu’autodidacte, est-ce que tu as la sensation de te lancer dans quelque chose de vertigineux/ambitieux, justement, pour pallier au manque de diplôme ? Tu nous parlais justement que tu voulais ouvrir ta propre galerie d’art !

J'ai un caractère très révolté, très passionné. Je pense plutôt que le fait de m'être échappée de cet univers axé sur les diplômes m'a juste permis de prendre mon envol et d'accomplir tout ce que je rêvais d'accomplir, sans plus aucune barrière. Paradoxalement, le fait d'être encadrée et poussée dans différents projets a tendance à me bloquer. J'ai un rapport très conflictuel avec l'autorité. Je ne cherche pas, en quelque sorte, à me justifier de ne pas avoir de diplôme en fournissant un travail phénoménal. Je cherche juste à m'exprimer, toujours plus, à partager, à m'épanouir et à faire évoluer les choses. 

Est-ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas pu faire à cause du manque de diplôme ?

Non jamais. Enfin pas pour l'instant.

Enfant ou adolescent, étais tu déjà attirée par le métier que tu exerces maintenant ? Penses-tu que ce que tu as vécu dans ton enfance-adolescence t’a aidé à avoir ensuite un parcours atypique, sans diplôme, ou pas du tout ?

J'ai toujours été attirée par les milieux artistiques. Depuis toute petite je rêve d'être comédienne. C'est une ambition que je maintiens encore aujourd'hui mais qui n'est pas ma priorité disons pour le moment. J'ai toujours aimé créer mais jamais je n'aurais cru, encore il y a trois ans que j'en serais là aujourd'hui. Je pense que le passé, l'enfance conditionne totalement le futur. Libre à toi ensuite d'en tirer ce que tu souhaites pour avancer dans ta vie. J'ai vécu dans une famille très ouverte d'esprit. Ma mère m'a toujours poussée et accompagnée dans tous mes projets. Elle m'a toujours félicitée, ne m'a jamais jugée et m'a toujours permis d'aller là où je voulais. J'ai eu une éducation très saine à ce niveau là. J'ai toujours été considérée comme un être libre de mes choix et je n'ai jamais eu de contraintes. Les limites, nous avons appris à nous les mettre tout seuls. Bien que cela puisse paraître compliqué, cela m'a vraiment permis de grandir, de devenir autonome et de réfléchir par moi-même.

A l’école, est-ce que tu t’es sentie bien conseillée en terme d’orientation d’études ?

Pour commencer, j'ai beaucoup de mal avec l'éducation en France. Le fait de devoir choisir entre une filière littéraire, économique ou scientifique est très réducteur, comme si ces trois domaines étaient totalement séparés et qu'il n'y avait aucune passerelle possible entre les trois. Au lycée, nous sommes dans de la théorie en permanence et je trouve ça bien ironique de devoir trouver « une voie » après le bac, n'ayant absolument aucune connaissance du monde du travail. Beaucoup de pression se manifeste autour de cette voie à absolument trouver. Je trouve cette réduction insupportable : cette envie de nous enfermer dans une case comme si on ne pouvait pas faire plusieurs choses à la fois dans des domaines pas forcément similaires. Je n'ai donc pas particulièrement été bien conseillée quant à mon orientation et je ne m'épanouissais pas dans une matière en particulier. Les matières artistiques sont toujours présentées comme des options, comme un complément à quelque chose et non comme une matière principale qui se suffit à elle-même.

Pour toi, comment sont vus les autodidactes en France ?

Il est très compliqué aujourd'hui d'être autodidacte en France. Je ne parle pas d'un point de vue matériel, il est évident que concrètement il est possible de le devenir. Je parle d'un point de vue sociétal. Même si les mentalités évoluent, les gens sont souvent encore dans le jugement quant à ce statut. Cette même question revient sans cesse : « Et toi, tu fais quoi comme études ? ». Je me souviens qu'étant dans une période de transition je répondais que j'étais en année sabbatique, et les gens ne cessaient de répliquer « Trop cool tu vas faire quoi du coup ? Voyager ? Travailler ? ». Eh bien non, j'allais juste ne rien faire, j'allais juste réfléchir, j'allais juste prendre du temps pour moi. Certaines personnes sont facilement déboussolées quand autrui quitte les rails : elles critiquent facilement les différences. J'avais l'impression de toujours devoir me justifier, c'est fatigant. Le fait de prendre du temps pour soi ou de quitter les institutions sont deux choses qu'on a encore du mal à comprendre dans notre société. Durant cette même période donc, j'ai commencé à développer mon art et à créer mon statut d'autodidacte. C'est là que ces questions liées aux études sont pénibles, je me suis personnellement sentie jugée en permanence. Ou alors c'est peut-être moi même qui me jugeait, mais c'est encore une fois lié aux idées véhiculées dans notre société.

Un mot de la fin ?

J'ai vraiment envie d'allier la peinture avec plein d'autres domaines. En ce moment je suis sur plusieurs projets en rapport avec le corps de la femme, son rapport dans l'espace, thème qui revient souvent dans mes peintures. Ce sont des projets photographiques et vidéos où je prends la pose et j'y prends beaucoup de plaisir ! J'ai trop hâte de partager tout ça !